Duel au sommet – Garuda vs Fenghuang

Ami entends-tu le bruit sourd de cette guerre de l’ombre qui menace l’équilibre de notre monde ?

Non, je n’évoque pas le duel que se livrent Marlène Schiappa et Bruno Lemaire pour les recoins et les rebuts des librairies avec leur diarrhée de recueils de conseils de ministres exhibant leur scandaleux désœuvrement !

Le duel auquel je veux vous éveiller, c’est celui qui se trame pour le toit du Monde, pour l’Olympe de l’Humanité, pour le pinacle de la planète bleue ! Celui pour lequel les deux protagonistes bandent leurs muscles dans l’ombre, attisent la braise des passions partisanes parmi leurs foules de hooligans déjà chauffés au rouge…

Et non, pas non plus le Combat des Chefs qui se fomente outre-Atlantique pour 2024 entre un Joe qui ressemblerait bien plus à un Averell – y compris par sa séniorité – et un Donald très Daltonien dans sa perspective de finir en cellule, ni dégauchi ni dégrisé, dans un uniforme rayé de jaune et noir.

La guerre que j’évoque est autrement plus lourde de conséquences pour notre avenir… Et si le Soleil qu’elle annonce se lève bien toujours à l’Est, c’est pourtant un renversement total des cartes, un chamboule-tout à retourner la planète qu’elle nous promet !

La bataille qui se livre est silencieuse, elle ne fait pas les gros titres et l’ouverture du JT avec des photos choc, mais telle la dérive des continents, sa force inéluctable, invincible, irréversible, annonce des lendemains qui déchantent en mandarin et remplissent la scène d’une foule de danseurs Bollywoodiens qui se déhanchent en rythme.

A des années-lumière des batailles futuristes qui opposent des armées furtives de cyber-pirates, des nuées de drones à des constellations de satellites espions, des missiles hypersoniques à des bombes thermobariques, la Chine et l’Inde, ces deux géants démographiques s’affrontent dans d’obscures et désertes vallées de l’Himalaya, dans des échauffourées à faire pâlir d’envie les blacks blocs et les BRAV-M les plus teigneux. C’est à coups de bâtons, si, si ! que se castagnent à mort les groupuscules de chaque clan pour se disputer quelques vils arpents de roche et de poussière stériles et gelées[i]. Sont-ce leurs ambitions démesurées qu’ils cherchent ainsi à dissimuler, dans ce Ladakh qu’ils ont tous deux en ligne de Cache-mire, et dont ils s’arrachent si férocement les lambeaux ?

Ça fait longtemps déjà qu’il y a plus de monde à Pékin que de pékins à Londres ou à New-York. Plus d’Indiens que de Cow-boys, bien plus d’Indiens même que de sujets dans tout le reste de l’Empire raccorni qu’a légué Lilibeth à Charles – ils se comptent à plus de 10 chiffres quand lui n’en revendique qu’un ridicule… III.

Mais aujourd’hui, c’est historique, après des décennies à voir son voisin chinois caracoler en tête de tous les recensements, voilà que l’Inde lui vole la vedette ! Lancée à pleine vitesse sur les rails d’une croissance démographique débridée avec ses trains surbondés de brassées d’enfants et d’adolescents, elle supplante inexorablement les marées humaines chinoises qui glissent sur la pente du vieillissement. Réalisez que chacun de ces géants à lui tout seul compte autant d’âmes (plus de 1,41 milliards !) que deux fois l’Union Européenne et les Etats-Unis réunis ! Alors vous pensez bien que quelques poignées de p’Tibétains ne pèsent pas bien lourd ! Les 23 millions de fourmis qui s’agitent encore à oser dissider à Formose ? Elles ne seront pas beaucoup plus longues à digérer par le Dragon que la termitière de Hong-Kong. Même les centaines de millions de musulmans saupoudrés de part et d’autre de leur frontière commune, les 12 millions d’Ouïghours en Chine et les 200 millions de fidèles à l’Islam en Inde[1] ne sont que grains de fable dans les rouages de cette mécanique de règlements de comptes titanesque.

Avec des Xi, on mettrait peut-être Paris en bouteille, mais on mettrait plus sûrement Taipei en bocal, et on traînerait volontiers son jeune et ambitieux voisin devant le tribunal des adultes responsables du Comité de Sécurité de l’ONU, pour l’accuser de Dehli de fuite en avant.

L’Inde à beau être Modi-que, elle a cessé d’être modeste, et maintenant qu’elle a pris la tête du classement des nations les plus populeuses, bénie de tous ses Dieux mais débarrassée de tous les maîtres qui ont cru pouvoir la cornaquer, elle est prête à reprendre la main dans un nouveau cycle de ce temps que, nous Occidentaux, trouvons si long.

C’est ce temps long-là qui coule dans la cosmogonie hindoue, faite d’années divines de plus de 300 millions de nos courtes années, comme il donne du tant au temps confucéen.

Loin, si loin de la frénésie des tweets et autres buzz, du fast food, de la fast fashion, des cotations instantanées et des résultats trimestriels qui scintillent sur nos écrans « en temps réel » (sic).

Préparez-vous au coup de frein, l’accélération risque d’être violente !


Pattes de mouche du Kfard :

Bien que les protagonistes aient dépassé le stade de se traiter de noms d’oiseaux, sachez au moins dans quelles plumes ils se volent :

Garuda est un homme-oiseau fabuleux de la mythologie hindouiste, puis bouddhiste, considéré comme le roi des oiseaux. Il est le vahana (ou monture) du dieu Vishnu.

Quant au Fenghuang, ou phénix chinois, c’est un oiseau qui dans la mythologie chinoise règne sur tous les autres oiseaux… (tiens, ça ne vous dit rien ?) Il est souvent associé au dragon (dont il est parfois considéré comme le parent) qui est son pendant masculin.

[1] qui en font la 3e communauté musulmane au Monde après l’Indonésie et le Pakistan


[i] Le dernier affrontement de ce type connu par les médias internationaux date de décembre 2022, et a fait 20 blessés côté Indien (le bilan côté Chinois n’est bizarrement pas connu), malgré d’innombrables pourparlers diplomatiques et militaires – pas moins de 16 sessions de négociation sur les 2 seules années entre ces 2 incidents. Le précédent « incident sérieux » du même type avait eu lieu en juin 2020, et avait coûté la vie à 20 soldats indiens (et le bilan côté Chinois n’avait bizarrement toujours pas été communiqué – sic).