Mais qu’est-ce qui le Brexite tant, Boris, pour qu’il remonte sur les planches chaque jour pour révéler une nouvelle facette de sa pièce à chaque fois ? Croyez-moi, ce n’est pas du Shakespeare…
Vous pensiez qu’il n’y a pas à tortiller : c’est pile ou c’est face ! Eh bien le fantasque et foutraque Bojo le clown, lui, ne se laisse jamais enfermer dans un choix aussi cornélien (il n’y a que les Français pour brailler du Corneille). Cet illusionniste est capable de vous surprendre à chaque fois qu’il la lance, sa pièce, en inventant une nouvelle face à chaque fois qu’elle retombe, qui répond pile à sa « conviction »[i] du moment.

Pile ou face ? Tellement cartésien (encore un Français) et « so boring » pour notre Boris… pardon, « leur » Boris ! Et pourquoi pas Passe, File, Pif, Paf ou Plouf ? (toute allusion sarcastique au conflit sur les droits de pêche serait purement fortuite, indeed !)
« Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent » disait Edgar Faure (encore un maudit Français !), mais même une girouette est une image trop déterministe et prévisible pour Boris, parce qu’après tout, elle n’indique qu’une direction à la fois.
Boris, lui, a élevé « l’agilité », la « real politik » au rang d’art martial, et est capable de tourner en bourrique notre pourtant ceinture noire nationale du « en même temps ». Regardez sa chevelure, qui rend caduc le terme même de coiffure : où que souffle le vent, il y a à chaque instant une mèche qui va dans son sens (… et toujours aussi une dans le sens opposé, déjà prête, au cas où…).

Les Anglais pouvaient-ils rêver meilleur expert que ce pur produit de l’upper class de noble lignée pour gérer un divorce si douloureux, cette rupture d’avec l’Union Européenne ? Cette roturière orgueilleuse commençait à prendre ses aises. Elle ne s’imaginait quand même pas régenter le domaine de sa Majesté la Reine-mère du Commonwealth ? Mais quel orgueil et quelle ignorance crasse des raffinements de l’étiquette ! Ce n’est tout de même pas un majordome ou une intendante qui va prétendre prendre en main la destinée du Comté de Grantham, n’en déplaise à tous les Mr Carson et Mrs Hughes[ii] du Berlaymont[iii]!

Il en connait un rayon en ruptures et divorces, lui, que ce soit dans sa vie privée ou publique, et chacun de ces chocs, loin de l’abattre, a permis à ce culbuto de se redresser et repartir à l’assaut, plus fort encore.
Ayant débuté sa carrière de journaliste comme correspondant stagiaire au Times, il est viré au bout d’un an seulement, pour avoir falsifié une citation de son parrain. Marié en 1987 à Allegra Mostyn-Owen, cette union dure elle aussi moins d’un an. Mais qu’à cela ne tienne, il se remarie 12 jours à peine après que ce 1er mariage soit annulé, en 1993, avec Marina Wheeler, avocate puis conseillère de la Reine, qui est déjà enceinte de leur premier enfant. Après avoir eu 3 autres enfants avec elle, Boris continue seul sa croisière (pas vraiment en solitaire néanmoins) en enfilant les relations comme des perles : 4 ans avec la journaliste Petronella Wyatt, alors qu’il est son rédacteur (mais manifestement pas que…) au magazine Spectator, ce qui lui vaudra d’être démis de ses fonctions de vice-président du parti conservateur en 2004. En 2009, naît sa fille Stephanie, issue de sa liaison avec Helen Macintyre, une consultante en art (mais manifestement pas que…), sa paternité étant révélée en 2013 après que l’action en justice pour maintenir le secret de l’identité du père ait été déboutée. Et en 2018, sa liaison avec Carrie Symmonds, la directrice de la communication du Parti Conservateur, fait encore scandale, et finit par convaincre ce cabotin amateur de cabotage de renoncer à son anneau à la Marina, où il accostait de moins en moins. En février 2020 sa relation avec Carrie Symmonds, enceinte, est officialisée, et il se marient (Encore ? mais que fait le Pape ?), en toutes petites pompes, en mai 2021.
Londres, qui ne voulait plus Ken[iv], a paradoxalement élu ce séducteur compulsif comme Maire sur un malentendu en 2008, puis, séduite, l’a réélu en 2012, l’année où Bojo accueillait les beaux-JO et leur drapeau aux 5 anneaux (Allegra, Marina, Carrie,…il nous en resterait encore 2 à découvrir ? Quelle santé ce Boris !)

hélas… même si je n’en suis pas le seul père
Ardent pourfendeur de l’Union Européenne tout au long de sa carrière journalistique et politique, il a qualifié le vote pour le « oui » au Brexit « jour de l’indépendance de la Grande Bretagne » – alors qu’il avait signé une profession de foi 2 jours avant glorifiant « l’aubaine » que serait un maintien dans l’UE, et annonçant un « choc économique » en cas de Brexit. Mais avec Bojo, ce qui nous aurait surpris, c’est qu’il ne change pas d’avis.
Il s’est imposé comme défenseur d’une version dure (« hard Brexit »), en démissionnant en 2018 du gouvernement de la mère Theresa, pour – revanche suprême – prendre sa succession un an plus tard et couper lui-même avec les dents le cordon reliant encore la Grande-Bretagne au continent Européen. Peu importe que son frère Jo, qui était ministre dans son gouvernement en désaccord avec la version brutale du Brexit de son grand frère (Averell[v] ?), aie démissionné en 2019, et que son propre père, Stanley Johnson, aie demandé en décembre dernier la nationalité française pour échapper aux conséquences de l’accord précipité par son fils. Si j’étais britannique, je serais quand même un peu fébrile de telles décisions de la part d’intimes qui connaissent si bien l’animal.

Boris s’inscrit dans la lignée millénaire[vi] des insulaires Grand-Bretons toujours prompts à narguer – et, cherry on the cake, humilier si possible – leur meilleur et plus fidèle ennemi, avec lequel ils se tirent régulièrement par la Manche.
Ce flibustier a surkiffé l’opportunité que lui a donné l’oncle Sam de s’essuyer les pieds sur le paillasson tricolore, et en prime de redorer le blason du Commonwealth, en rejoignant l’Alliance AUKUS qui a coulé « le contrat du siècle » de 12 sous-marins à plus de 50 milliards d’euros que la France avait vendus à l’Australie.

Et c’est sans aucun complexe, mais plutôt avec une gourmandise toute machiavélique, qu’il feint d’ignorer les termes de l’accord négocié pied à pied pendant plus de deux ans avec l’Europe, et dont l’encre est à peine sèche. Eh oui, c’est dur, Alex (qui est son prénom de naissance, Boris n’étant que son 2e prénom, qu’il a troqué depuis son adolescence), sed lex !
Sa dernière trouvaille pour titiller les Froggies[vii] ? Distribuer au compte-gouttes les licences à leurs pauvres pêcheurs, cette bande de marins ultra de métropole qui piaille sans avoir la moindre idée de ce qu’est la possibilité d’une île[viii] , et qui pense que la messe aurait déjà été dite, en latin qui plus est. Ils n’imaginent quand même pas donner des leçons de caté-schisme à HMS[ix] Boris, lui qui est le premier catholique à accéder à la fonction de Premier Ministre au Royaume (pour le moment encore) Uni ?
Un pyromane catholique à Westminster… La dernière fois que cela s’était vu, en 1605, ça s’était mal terminé pour le principal protagoniste, Guy Fawkes. Ce « poor Guy » faisait partie d’une conspiration qui avait amassé des barils de poudre sous la chambre des Lords à Westminster pour assassiner le roi Jacques 1e et les Lords qui le soutenaient, afin de le remplacer par un roi catholique. Mais, démasqués suite à une lettre anonyme, lui et ses complices sont arrêtés, interrogés et torturés, et il se brise le cou en se jetant de l’échafaud (« poor, poor Guy », vraiment). Depuis, chaque année, le 5 novembre, l’échec de cette « conspiration des poudres » est célébré par les bûchers et les feux d’artifice du « Guy Fawkes Day » à travers tout le pays.

Ceux qui applaudissent encore ce transformiste capable de retourner sa veste plus vite que son ombre, ce Bojo le clown qui multiplie les pitreries et les saillies pour finir toujours plus haut sur l’affiche, risquent d’en être pour leurs frais quand ils se réveilleront de leur hypnose. Ils réaliseront alors qu’Alex-Boris ne joue pas un rôle, mais qu’il vit sa vie et sévit, et que les étincelles qu’il sème par brassées pourraient bien déclencher … une explosion retentissante du Royaume millénaire de Grande Bretagne.

« Keep calm and carry on », la bonne nouvelle c’est qu’elle ne va pas exploser tout de suite !
Confions la conclusion à Shakespeare, qui connaît manifestement très bien notre (non, leur – thanks Brexit) Boris :
“Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.” (dans « Comme il vous plaira »)
“Qu’est-ce que l’honneur ? Un mot. Qu’est-ce que ce mot, Honneur ? De l’air. ” (dans « Henri IV »)

Pattes de mouche du Kfard :
[i] Faux-ami à double titre:
- « conviction » en anglais se traduit par « condamnation » en français
- Mais ici, le terme « conviction », pourtant bien utilisé dans son acception française, correspondrait plutôt à une « lubie »
[ii] La série Downton Abbey relate les péripéties de la famille Crawley, dont le père a le titre de Comte de Grantham, et possède le domaine de Downton Abbey, et de leur brigade de domestiques, menée de mains de maître par le majordome, Charles Carson, et l’intendante, Elsie Hughes, à partir de 1912.
[iii] Le bâtiment du Berlaymont, à Bruxelles, est le siège de la Commission Européenne
[iv] Ken Livingstone, Maire travailliste de Londres, de 2000 à 2008 (surnommé « Ken le Rouge » à cause de son passé trotskiste)
[v] Joe, Jack, William et Averell sont les 4 frères Dalton, une fratrie de bandits de grand chemin que Lucky Luke ramène régulièrement en prison dans la série de BD de Morris. Joe est le plus petit et l’aîné de la fratrie, leader du groupe, le plus intelligent et le plus nerveux et colérique. Averell est le plus grand, plus jeune, plus sensible et plus idiot des quatre (mais capable de coups de génie, d’autant plus surprenants).
[vi] Pour avoir un aperçu des racines profondes de cet antagonisme millénaire qui n’a connu que quelques rares exceptions « d’entente cordiale » de quelques années, alors que les guerres – qui pouvaient durer des décennies – se sont succédées, je vous conseille l’hilarant « 1000 years of annoying the French » de Stephen Clarke.
[vii] Froggies, « Les petites grenouilles », surnom méprisant dont les Anglais affublent les Français, parce qu’ils ont ou plutôt auraient une tradition « so shocking ! » de manger des cuisses de grenouilles
[viii] C’est du grand Boris (du grand n’importe quoi, en français), d’amener Michel Houellebecq – qui n’a vraiment rien demandé – sur ce terrain avec son roman publié en 2005, « la Possibilité d’une Ile ».
[ix] HMS, pour « Her Majesty’s Servant » – le serviteur de sa Majesté