Près d’un an que les Talibans sont de retour au pouvoir, et tout le monde semble avoir, de vue et d’attention, complétement perdu Kaboul !
Oh nous ne manquons pas d’excuses, pensez-donc : notre pauvre cerveau n’est guère disponible, découpé qu’il est en tranches d’infos fumantes ou sanguinolentes qui s’y déversent en continu, hachées finement, assaisonnées de mots au poids et de photos choc, servies toutes chaudes –brûlantes même ces dernières semaines – entre deux tranches de pub qui font miroiter sous nos yeux ébahis l’herbe tellement plus verte dans le jardin du voisin.
Il faut dire qu’avec la fumée qui sature notre écran et dévore nos forêts, et avant elle, l’« opération spéciale » russe en Ukraine, ça ne laisse guère de place dans les « éditions spéciales », une fois traité l’essentiel de l’actualité : les terrasses et les bouchons estivaux ! Imaginés par des services décidément spéciaux (à défaut d’être toujours compétents[1]), les effets spéciaux de l’opération Z réussissent l’exploit de dépasser, en bruit et en fureur, ceux d’un film de série Z avec Steven Seagal ou Jason Statham : bombes thermobariques, missiles hypersoniques, roquettes sur la plus grande centrale nucléaire d’Europe, même eux n’avaient pas osé, c’est dire ! Et puis la guerre en Ukraine, ça fait plus que nous émouvoir, ça nous touche au plus profond des tripes : déjà plus de moutarde pour nos andouillettes, bientôt plus de gaz pour nos usines, voire plus de pétrole pour nos idées ! Sans compter les zakouskis, vodkas et autres caviars qui, s’il est certes difficile de les faire passer pour aussi vitaux que l’arrosage de nos très chers terrains de golf en pleine alerte canicule, agrémentaient quand même bien l’ordinaire des bons vivants, avant ces foutues sanctions bien-pensantes !
Alors, pensez-donc, des millions d’Afghanes auxquelles leurs bienfaiteurs auto-proclamés épargnent le stress du choix de la tenue qu’elles mettront le jour de la rentrée,
des millions de petites filles qu’ils prennent le temps de taquiner, en leur faisant croire pendant quelques heures qu’elles pourraient retourner sur les bancs de l’école, avant de révéler l’hilarante supercherie,
des millions d’Afghanes qui ne souffrent d’aucune pénurie de fournitures : effaceurs et gommes (de leur corps, de leur visage, de leur voix, de leurs emplois, jusqu’à leur existence) leur sont fournis à profusion, comme l’encre des décrets qui noie leurs libertés chèrement conquises les unes après les autres et badigeonne le moindre centimètre carré de peau féminine sur toute affiche, ou les rapporteurs dont la délation suffit à leur valoir lapidation,
des milliers d’Afghanes égayées à coups de kalachnikov en l’air pour disperser leur manifestation, au lieu de les trouer de balles comme y inciterait pourtant la tradition millénaire – quand on pense au prix de la balle, en cette période d’inflation ! Ces impertinentes osaient réclamer « pain, travail et liberté » ! Et puis quoi encore ? Pourquoi pas la parité, tant qu’elles y étaient ?
des millions d’Afghans qui n’auront bientôt plus assez de feuilles d’épinards à sucer pour s’inquiéter de la pénurie de beurre, de toit sur leur tête pour se plaindre de la hausse des loyers, de la plus simple attention d’un frère humain pour crier leur désespoir.
Comment voulez-vous qu’on puisse s’intéresser à eux ? Ils ne font vraiment aucun effort pour nous ressembler, alors comment imaginer éveiller ne serait-ce qu’un minimum de compassion ?
Même les plus vilains terroristes ne parviennent plus à nous faire frémir, réduits qu’ils sont à jouer le rôle de méchant d’une pub de la MAAF ! « Je les aurai un jour, je les aurai ! » a dû se dire Ayman al-Zawahiri, profitant des rayons du soleil levant sur la terrasse de Kaboul où il s’tait caché… pour finir en tartare, éparpillé façon puzzle par le dernier cri furtif (si, si, ça existe !) de la technologie du gendarme du monde, après un ordre sans doute twitté depuis l’autre bout de la planète : hache-tag…eule, mdr
Au lieu de jeter un voile intégral sur ce désastre humanitaire, et réduire cette plaie béante à un Afgha-néant, il serait temps que nous réalisions enfin que si la Terre est ronde (sphérique, me diront certains extrémistes radicaux de la précision scientifique), et que seule sa surface est viable (jusqu’à une certaine profondeur quand même, croiront utile de préciser certains mineurs et plongeurs de l’extrême), c’est précisément pour qu’il n’y en ait ni bout, ni centre, mais un seul peuple, une seule Humanité et au-delà, une seule communauté du vivant qui a le privilège d’y faire un séjour, avant de devoir rendre les clés au propriétaire…
Le jugement dernier, ce sera notre état des lieux de sortie !
[1] Si vous ne l’avez pas lu encore, je vous recommande l’excellent roman Les services compétents, de Iegor Gran, qui retrace la traque d’un écrivain dissident par le KGB dans les années 1960
Grâce à ton retour, enfin, cher Kfard, mes neurones foncièrement un peu froids prennent, eux aussi, un coup de chaud aux quatre coins du globe cervical – à la rondeur, je l’avoue, un peu déformée, sans aller jusqu’à produire la perte de Kaboul ! Ainsi je partage ton ressenti sous les infos du monde. A une exception près : l’herbe n’est plus partout, comme avant, plus verte chez le voisin. Peut-être plus jaune… ? Est-ce le dieu des talibans qui nous ferme le robinet pour nous punir de donner la parité aux femmes ? Au fait, si les Afghanes ne peuvent pas parvenir à cette égalité, n’est-ce pas parce que contrairement aux Européennes elles en abuseraient ? Et que tous comptes faits, elles sont gagnantes : pas de problème de pénurie ou de coûts exhorbitants de francs décolletés, de shorts généreux, de maquillages trompeurs ; pas de concurrence fessière chez la voisine ! Pas de soucis de transport jusqu’à l’employeur qui vous sous payera… Et si tout simplement, d’abord, les femmes de notre monde pouvaient se permettre de montrer le corps parce qu’il le mérite, le leur…
Bon, je te quitte un moment, cher Kafard, pour aller me renseigner sérieusement sur la forme de la Terre : ronde ou sphérique ? Mon prof de géo ne m’a jamais rien démontré… Con fut… ne voudrait pas rester !
Dans l’espoir partagé du retour de la moutarde dans les andouillettes, je te salue bien bas – ce qui m’est facile ô Grankafard.
6krmagnole
PS ( Tu la reçois quand ta kalasch ? Pour l’Ukraine ou l’Afghanistan ? )
Quel que soit le coin du monde que je propose aux Kfards Dchaînés de découvrir, en soulevant un tapis, volant d’un euphémisme à une métaphore, tu es toujours le premier à me rejoindre, dans le requiem ou la farandole. C’est tout ce que j’aime, merci 6krmagnole !