Il y a les Golden-boys de profession
Habillés par Cardin et jalousant les Boss, serviles
Qui roulent en Ferrari à la plage comme en ville
Qui vont chez Cartier comme ils vont chez Fauchon
Croyez-vous que je sois jaloux ? Pas du tout, pas du tout !
Moi j’ai un piège à fric, un piège tabou
Un joujou extra qui fait krach boom hue !
Les filles – et les foules sentimentales, shootées – en tombent à genoux[i]
Qui a dit crise ? Pressez-vous donc pour puiser dans la corne d’abondance du « monde d’après » !

La planche à billets tourne à fond les ballons, comme jamais, de New-York à Tokyo en passant par Pékin, Londres, Frankfurt, Paris, Dubaï et Ryad, pour arroser d’un tsunami de liquidités un système monétaire et économique mondial exsangue.
Le malade est toujours sur le billard, sous perfusion presque en permanence maintenant, et ses constantes vitales font des sursauts désordonnés dans tous les sens, au rythme des décharges du défibrillateur qu’on lui inflige. Les plans de soutien aussi massifs soient-ils – les 1.900 milliards de dollars US du seul plan américain, les 750 milliards d’euro du plan de l’UE pour ne citer qu’eux – n’y ont pas suffi, nos apprentis sorciers ont dû inventer de nouveaux sorts plus puissants, quitte à tester les limites sulfureuses de la magie noire. Ainsi sont nés des « outils non conventionnels » (ça ne vous rappelle pas le langage guerrier des « armes non conventionnelles » ? Ça ne vous effraie pas, vous ?) tels que les « Quantitative Easing »[ii] successifs – qu’on préfère appeler par leur petit nom quand on est initié, les QE – et, petit dernier dont la musique monte lentement mais régulièrement dans les médias, et qu’on imagine inspiré d’Apocalypse Now, la «Helicopter Money » ! De l’argent qui tombe littéralement du ciel, on en tombe carrément des nues !

Mais c’est bien sûr ! Pourquoi n’avait-on pas osé y penser avant ? Dans notre monde 2.0 où le virtuel règne en maître, même plus besoin de planche à billets ! L’avenir est dans les nuages, dans le cloud, « sky is the limit ». Qu’est-ce qui pourrait empêcher les arbres de monter jusqu’au ciel ?
On n’a plus assez de lettres dans l’alphabet pour qualifier la reprise que nous promet l’aube du « monde d’après » : en U, en V, en W, voire en K !? (celui qui aura compris celle-là, qu’il partage sa science avec les autres Kfards dans les commentaires, SVP).
BOOM dans la valorisation des marchés, tirés par les GAFAM et autres licornes.
Dans un tel paradis où l’argent tombe du ciel « comme vache qui pisse », l’herbe et les liasses de dollars sont plus verts que le bocage normand et l’arrière-pays basque réunis.
Pauvres plébéiens, nous en sommes encore à guetter le moment où la crise sanitaire sera vraiment derrière nous, où la litanie quotidienne des morts et des malades en réanimation va s’estomper, où nous aurons évité un n-ième variant plus agressif et plus sournois que le précédent, et où nous aurons enfin retrouvé le niveau d’activité d’« avant » la pandémie. Pauvres contribuables, nous craignons la réponse hélas évidente à la question lancinante du remboursement des dettes faramineuses accumulées par le « quoi qu’il en coûte ».
Mais tout cela n’est que combats d’arrière-garde de cassandres et de pisse-froid pour les marchés boursiers qui, eux, ont déjà claqué la porte depuis longtemps et caracolent loin devant, guillerets et insouciants, volant déjà de nouveaux records en records his-to-riques !

Dopés aux « stimuli publics » et aux « injections massives de liquidités», Jeff, Mark, Tim, Sundar et Satya ont largement surpassé Jack et son haricot magique, avec le BOOM exponentiel de la valorisation de leurs GAFAM[iii]. Il y a quelques mois, on s’extasiait du fait qu’Apple ou Amazon dépassent les 1.000 milliards de dollars US de capitalisation boursière, qu’Apple a été le premier de l’histoire à atteindre, en… août 2018. Aujourd’hui, soit 3 ans et la plus grande crise mondiale plus tard, 2 d’entre eux dépassent déjà… le double de ce « sommet historique », 2.000 milliards (Apple avec 2.440 milliards et Microsoft avec 2.110 milliards), Amazon et Google (dont la maison mère est rebaptisée Alphabet, car même dans le classement alphabétique, dans ce monde-là, on triche pour être avant les autres) les frôlent, et Facebook ferme le peloton avec « seulement » 1.000 milliards de capitalisation, qui étaient le Graal absolu il y a 3 ans ! La capitalisation de ce Club des Cinq (plus de 9.000 milliards de dollars) équivaut au double du PIB du 3e pays au monde, le Japon. De sacrés sumos !
Mais ce grand BOOM ne se limite pas aux sommets de la pyramide. « Il n’y a qu’à te baisser pour ramasser un haricot magique, toi aussi ! » est le rêve que les hypnotiseurs saupoudrent à gogo, à tous les gogos. Partout à travers le monde, se multiplient les « licornes » (et vous trouviez mon analogie avec la sorcellerie tirée par les cheveux ?), ces start-ups montées dans un garage ou un studio miteux il y a quelques mois, qui sont valorisées à plus d’un milliard de dollars. Vite, pressez-vous de spéculer sur n’importe quoi vous aussi, pourquoi pas les Spéculoos, pour amasser votre propre pécule et ne pas l’avoir dans l’… (oserai-je ?)
BOOM, Hue ! dans la génération de thune, de moulaga, de Bitcoin et autres crypto-trucs
Maintenant que l’argent tombe du ciel, vous pensez bien qu’il est hors de question de se trimballer des reliques barbares qui datent du moyen-âge. Exit l’or, passée la monnaie, re-passés les billets et ringardes mêmes les cartes de crédit ! La thune, la moulaga, comme tout ce qui compte maintenant, c’est virtuel, ça voyage dans le cloud, ça s’échange sans contact depuis son smartphone. C’est Bitcoin, Ethereum et autres crypto-monnaies. Quand le livret A de pépé rapporte péniblement des raclures de centimes, ces crypto-monnaies explosent sur le tapis vert volant et virtuel du cloud, et doublent de valeur en quelques semaines ! BOOM !
C’est forcément ça, l’avenir ? Je peux poser la question sans passer pour un boomer, OK ?

La fable du cigare et de sa foule d’amis
Et une fois encore, voici que les cigales du « cette fois-ci, c’est différent, c’est pas pareil » refleurissent à longueur d’antenne, à profusion de plateaux et de posts : aucune raison de s’effrayer de la gangrène du système financier et monétaire par la dette qui enfle chacun de ses ganglions en protubérance tubéreuse ! Le montant de la dette mondiale ? Une pécadille ! 281.000 milliards de dollars seulement, soit 355 % du PIB mondial (ça veut dire 3 ans et demi du « chiffre d’activité » global), et l’année dernière on y a rajouté « que » 24.000 milliards de dollars.
Ces mouches du coche encouragent Yellen[iv] et ses garçons, les apprentis sorciers de nos Etats souverains (ceux-là même que les GAFAM intouchables foulent au pied et ignorent superbement) et de nos banques centrales, à ne pas baisser Lagarde. Elles et ils ont assurément tiré les leçons des crises passées (quelle chance nous avons eu d’avoir de tels bacs à sable pour faire notre éducation que les crises de 1929, 1997, 2000, 2008) ! Cette fois-ci, c’est sûr, ils sauront nous éviter le pire ! Ils ont appris à piloter si finement le paquebot et le porte-conteneur (disons, au hasard, le Titanic et le Ever Given), et sont si bien épaulés maintenant par des Intelligences Artificielles, si, si – ils pourraient, les doigts dans le nez, laisser la main au pilote automatique, ça vous rassure, hein ? – qu’ils nous négocieront un sillage parfait, « au millimètre » entre les icebergs de l’inflation, la déflation, la reflation et toutes les autres « flations » qu’on ne connaîtrait pas encore.

Alors fouette cocher, et HUE vers de nouveaux sommets, vers l’infiniiiiii et auuuuuu-delà !
Il est en effet bien trop sage pour notre époque échevelée, ce Thomas Pesquet qui s’est entraîné pendant des années pour passer des mois dans l’espace et partager patiemment avec nous ses émerveillements d’enfant.
Non, notre ère est aux nouveaux riches gonflés à la thune, la testostérone et la coke, les Branson, Musk et Bezos qui jouent des coudes à qui s’enverra en l’air le plus loin, et le plus vite. Hop un petit tour dans l’espace, plus expéditif encore que « le train de la mine » de Disneyland ou « Oziris » du Parc Astérix, mais des millions de fois plus cher et plus polluant ! Et hop, aussitôt que les images sont dans la boîte, retour vite fait dans les pantoufles devant la télé. Le rêve d’exploration spatiale qui a enchanté l’imaginaire de générations entières se serait-il racorni au point de devenir « un petit bond pour un homme, un grand pas en arrière pour toute l’humanité »[v] ?

Et pendant ce temps là, les Shadocks pompaient, pompaient…
Mais même à supposer que les arbres puissent monter jusqu’au ciel, le pourraient-ils cependant vraiment « hors sol », sans racines ?
Tout « vent » qu’ils soient, les Bitcoins, pour être « minés » – oui, minés, comme le préhistorique charbon – pour être minés donc, consomment 0,5% de l’électricité mondiale, soit autant que la consommation d’électricité d’un pays comme les Pays-Bas, ou, pour donner un autre ordre de grandeur, autant d’émission de gaz à effet de serre qu’une compagnie aérienne comme American Airlines. Ça ne vous parle pas encore ? Et si je vous dis maintenant que ça représente 20% de toute la production d’électricité éolienne dans le monde ?

En somme, l’investissement massif réalisé pour exploiter l’énergie du vent, qui a conduit à en décupler les capacités sur les 5 dernières années est largement réinvesti… pour « miner » du Bitcoin ou de l’Ethereum, et produire… plus de vent.
Les investissements « sans précédent » dans les énergies « vertes » renouvelables (plus de 255 milliards de dollars par an) n’ont guère permis d’augmenter leur part dans le mix énergétique global de plus de 1% sur les 30 dernières années, à moins de 18% du total ! Alors que le secteur informatique et numérique, qui consommait 7% de l’électricité dans le monde en 2016, explosera pour atteindre 20% en 2030 !

Or, le moteur qui a alimenté la croissance exponentielle des 2 derniers siècles, nourri les révolutions industrielles et tertiaires- l’énergie fossile (d’abord le charbon, puis le pétrole et le gaz) – est en train de tousser et hoqueter. Nous avons bel et bien dépassé le pic de production du pétrole conventionnel en 2006, et désormais la production ne fera que décroître. Les sources alternatives de pétrole (schistes et sables bitumineux) actionnées massivement depuis, plus coûteuses et aux impacts environnementaux incertains, ont permis de donner un coup de fouet à la production mondiale, et de refaire des Etats-Unis le premier producteur mondial, mais ce « shoot » ne durera guère au-delà de 2025.

Même le moteur démographique, dont on craignait pourtant l’emballement jusqu’il y a peu – se demandant comment la planète pourrait supporter au-delà de 10 ou 12 milliards d’humains – commence lui aussi à clignoter à l’orange, et menace maintenant de basculer vers la décroissance dès les décennies à venir.
Et quand les moteurs commencent tous à tousser et hoqueter, et que l’ambulance a passé déjà – et vidé – la dernière station-service disponible sur la planète, c’est quoi le plan B pour sauver le malade ?
Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?
La soirée aura été dantesque ! Le pétrole et l’alcool ont coulé à flots, les cachets d’amphétamine et de LSD ont roulé sur les rails de coke, les nuages de shit et des cigares ont bercé nos rêves d’Olympe, la boule à facettes à scintillé de mille feux, le dancefloor était endiablé !
Mais les vapeurs commencent à se dissiper et à révéler le désastre d’une gueule de bois nauséeuse. On n’a même plus la force de regarder l’heure, mais on devine les premières lueurs de l’aube glauque entre les persiennes. Et on hésite à affronter l’image, sans concession, renvoyée par le miroir… Il est 5 heures, Paris s’éveille.

KRACH…
Mais ce n’est que le début du refrain, la folle sarabande des cycles économiques peut recommencer !
Moi j’ai un piège à fric, un piège tabou
Un joujou extra qui fait KRACH BOOM HUE !
Les filles – et les foules sentimentales, sonnées – en tombent à genoux

Pattes de mouche du Kfard :
[i] D’après la chanson « Les playboys » de Jacques Dutronc, 1966
[ii] En plus des outils traditionnels (dits « conventionnels »), les banques centrales peuvent faire varier la quantité de monnaie en circulation dans l’économie en utilisant des moyens «non conventionnels». Le quantitative easing (« assouplissement quantitatif ») est l’un de ces outils, par lequel elles achètent massivement des actifs aux banques. Les banques commerciales sont ainsi incitées à prêter aux entreprises et aux particuliers.
[iii] Jeff Bezos, fondateur et patron d’Amazon – Mark Zuckerberg, fondateur et patron de Facebook – Sundar Pichai, patron de Google – Tim Cook, patron d’Apple – Satya Nadella, 2e PDG de l’histoire de Microsoft après Bill Gates. Ces 5 plus gros géants du numérique sont désignés collectivement par l’acronyme GAFAM, associant les 5 initiales du nom de leurs sociétés.
[iv] Janet Yellen est la Secrétaire au Trésor de Joe Biden. Elle a également été Présidente de la Réserve Fédérale américaine (la fameuse FED) de 2014 à 2018.
[v] « C’est un petit pas pour un homme, un grand pas pour l’humanité » (« That’s one small step for man, on giant leap for mankind. »). Citation de l’astronaute Neil Armstrong en posant pour la première fois le pied sur la Lune, lors de la mission Apollo 11, le 21 juillet 1969.