Mais qu’est-ce donc dont il est question, ces métavers (metaverse en anglais) qui pullulent, se tortillent et se contorsionnent dans le terreau de la toile depuis des années, et que Facebook vient d’imposer en haut de l’affiche, avec sa décision de se rebaptiser… META, pour marquer son ambition d’imposer son propre métavers comme nouvel horizon des réseaux sociaux d’aujourd’hui ?
L’idée est simple, voire simpliste : nous permettre de nous évader de la vraie vie perçue comme réellement compliquée, voire insatisfaisante pour la majorité d’entre nous, pour nous réfugier dans un métavers, un Deuxième Monde ou Univers virtuel, recréé sur un écran, une rétine ou directement dans notre cerveau, qui serait tellement plus satisfaisant.
Ready Player One ?
C’est ainsi que Steven Spielberg interpelait le spectateur pour son film de science-fiction fin 2017 (il y a seulement 4 ans, mais nous étions encore dans « le monde d’avant » !). L’OASIS, cet univers virtuel au cœur de l’intrigue, n’est-il qu’une n-ième déclinaison de Matrix ? Ou est-ce déjà un œuf de métavers ou une larve de proto-métavers ?

Cette soif d’un ailleurs est le propre de l’humanité, qui depuis la nuit des temps imagine, ouvre, crée des horizons et des univers inédits et multiples. Univers oniriques encouragés parfois par des pratiques chamaniques ou des substances psychotropes, croyances, mythes et religions, ballades de troubadours, littérature, théâtre, peinture, cinéma, parcs d’attraction, jeux de société, carnavals et bals masqués, ohé, ohé, autant de portes ouvertes sur des myriades d’univers parallèles qui déploient leurs ailes pour élever notre âme… ou parfois la perdre si on s’y égare.
Le développement et la sophistication des moyens et des médias qui nous ont progressivement donné accès à des territoires de plus en plus vastes en des périodes de temps de plus en plus courtes, a permis de multiplier les occasions d’emmêler différents univers.
Deux exemples particulièrement réussis à la fin du siècle dernier, que le Kfard vous recommande :
- En 1988, dans le très inspiré « Qui veut la peau de Roger Rabbit », des personnages de dessin animé se fondent dans le monde réel, et inversement, des personnages réels investissent l’univers de dessin animé (la bande-annonce de 3 minutes est là : https://www.youtube.com/watch?v=7T_oQ3dxrAQ)

- En 1997, Marc Hollogne a monté une pièce de cinéma-théâtre bluffante, Marciel monte à Paris, où la scène, découpée en deux parties, voit passer l’acteur de l’écran de cinéma à la scène de théâtre dans une chorégraphie virevoltante. (jetez donc un coup d’oeil sur cette vidéo de présentation YouTube d’une dizaine de minutes : https://www.dailymotion.com/video/xsc5d8)

Les technologies digitales ont permis d’accélérer encore ce « mélange des mondes ».
En 1997 déjà, Canal + Multimédia et Cryo avaient imaginé un proto-métavers appelé le Deuxième Monde, et dont le remake américain (nommé… Second Life, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple) avait connu ensuite un large succès.
A émergé ensuite le concept de réalité augmentée, illustré à merveille par la folie du jeu « Pokemon Go » sorti en 2016, qui a amené des hordes de gamins à courir derrière leur portable pour débusquer des Pokemons « cachés » géolocalisés dans leur environnement réel… en se mettant parfois vraiment en danger pour « attraper » un spécimen rare, de l’autre côté de la route ou du ravin.
Mais l’ambition de Facebook (pardon, META) et consorts va désormais bien au-delà. Il s’agit maintenant ni plus ni moins que de retourner « la matrice » comme une chaussette, pour faire directement du Deuxième Monde qu’est leur métavers… le premier.
Pourquoi donc se coltiner la froide et banale « vraie vie » où il faut sortir les poubelles même quand il gèle et écouter poliment le voisin se vanter de ses succès professionnels alors que les huissiers sont à vos trousses, alors que votre meilleure vie est à portée de clic, dans la peau d’un avatar fantasmé, dans un décor de rêve, tel Jake Sully, le héros du film Avatar, paraplégique dont l’avatar séduit la princesse du peuple Na’vi de la planète Pandora et prend la tête de leur rébellion contre les exploiteurs capitalistes terriens sans scrupules.

Vous vous rendez compte ? Plus besoin de se préoccuper du temps qu’il fait, de l’environnement dans lequel on se trouve, de la taille de son salon ou de son jardin, de son entourage, de sa garde-robe, de sa toilette, du réchauffement climatique, de la qualité des infrastructures de transport, de la politique ou des élections, de la lutte des classes,…
On pourrait se contenter de vivre chacun dans un container. Un casque de réalité virtuelle et une combinaison tactile, une connexion internet, et hop, nous projetterions notre avatar virtuel dans n’importe quelle partie de n’importe lequel de ces métavers… pour y croiser nos voisins, enfermés comme nous, chacun dans sa boîte, dans des pyramides de containers entassés tels des morceaux de sucre, qui forment une immense montagne (une Zuckerberg, en somme). Un univers dystopique déjà décrit par Jean-Michel Truong en 1999 dans son roman d’anticipation « Le Successeur de Pierre »… et dont nous avons tous fait l’expérience « en live » il y a quelques mois, c’était le temps du « confinement ».
Nos jeunes générations, elles, testent cette expérience de super-aventurier ultra-sédentaire depuis belle lurette, explorant continents, mondes et univers infinis sans quitter leur chambre et leur écran des yeux, dans les métavers des jeux en ligne comme Minecraft, World of Warcraft, Fortnite,…

Des univers fantastiques où la faucheuse se retrouve au chômage, où les vies sont illimitées (tant qu’on a de quoi payer…), où on meurt comme on trébuche, et puis on se relève comme si de rien n’était, sans même avoir à épousseter ses vêtements ou éponger le sang qu’on a pourtant perdu à gros bouillons. Où les crimes les plus sauvages, les plus abjects, eux aussi, sont illimités, puisqu’ils ne prêtent pas à conséquence – n’en déplaise aux Dieux si désespérément rancuniers des religions du monde …euh, réel… enfin bon, vous voyez ce que je veux dire, non ?
Mais il n’y a pas que les enfants. Jusqu’aux plus puissants de ce monde se sont laissé séduire par la tentation grisante de fuir la réalité, pour revêtir le costume d’un avatar plus vrai – ou en tout cas plus souhaitable – que nature, dans un monde parallèle forcément plus favorable que le rude et cruel « original ».
Dans cet autre monde parallèle qu’il adore modeler à sa patte, son « Assassin’s Greed »[i] à lui, Donald Trump a gagné la dernière élection présidentielle haut la main, Melania l’a épousé par amour et il n’est pas le seul président américain depuis George Bush père à ne pas avoir été réélu !

Quoi, non ? Mais si, puisqu’il vous le dit ! Regardez donc les centaines de fanatiques de QAnon qui se sont agglutinés ces derniers jours à Dallas pour attendre l’apparition de… JFK et son fils John-John (JFK Junior), qui devaient révéler la supercherie de leur « fake mort » (il y a respectivement 58 et 21 ans, quand même ! S’ils reviennent vraiment ils pourront revendiquer le record Guinness de la partie de cache-cache la plus réussie !) et apporter leur soutien à Donald Trump. OK ils ne sont pas venus, mais ce n’est que partie remise, ce qui compte c’est qu’ils étaient des centaines à les attendre, et la prochaine fois, ils seront peut-être des centaines de milliers, et c’est ça la réalité qui compte (pour Trump) !
Dans Inception, de Christopher Nolan (2010), ces mondes alternatifs, parallèles, s’emboîtent comme des poupées gigognes de rêves de rêves de rêves de… jusqu’à se perdre à ne plus savoir distinguer la terre de l’éther. Où est le fake, où est la news ? s’amusent ces joueurs de bonneteau révélés sur le tard.

Et ces torrents de métavers se faufilent et se tortillent déjà sous nos pieds, dévorant la terre que nous imaginions si ferme, sifflant tels des serpents sous nos têtes, se substituant aux pensées rationnelles et aux souvenirs que nous ne pouvons imaginer autrement qu’authentiques, s’entremêlant progressivement à tout ce qui est censé faire foi et loi en ce monde…
Ce monde… Lequel déjà ?
Vous voyez les gigantesques et monstrueux métavers des sables dans Dune, qui menacent de dévorer Timothée Chalamet tout cru telles des cougars en rut ?

Et bien c’est une belle illustration du joyeux bordel qui nous attendrait dans un monde où des métavers GAFAMés se disputeraient les faveurs et le temps de cerveau disponible des foules, avides de fuir un quotidien désespérant sur une planète à l’agonie, pour se réfugier dans un rêve plus féérique que le papier glacé, plus peplumesque que la pellicule Kodachrome, plus narcissique qu’Instagram, TikTok et YouTube réunis.
Le fascinant et terrible Multivers de Métavers !
Les entendez-vous déjà, les aboyeurs de foire, se disputant les parts de voix, s’entredéchirant les parts de marché :
Oyez, oyez, braves damoiseaux, devenez le Roi dans mon META versatile !
Soyez la Reine du Bal, c’est la promesse de notre métavers-tugadin !
The show must go on ! Soyez l’idole des jeunes dans mon Métavers balisé !
Devenez votre propre prophète, qui le métavers sait satanique !
Vous ne trouvez pas de case qui vous convienne ? Nous avons exactement ce qu’il vous faut, avec notre métavers-bicruciste !
Avez-vous vu le logo choisi par feu Facebook / META tout neuf ?

Comme le symbole de l’infini[ii]… tout un symbole ! Ou comme un ruban de Möbius, qui n’a qu’une face, pas de début et pas de fin, pas d’intérieur ou d’extérieur… un monde infini, mais finalement tellement recroquevillé sur lui-même ! Est-ce représentatif de ce que nous promettent les métavers, ou tout du moins de ce que Facebook entend nous proposer comme métavers ?
L’accès illimité au monde que nous a donné le progrès depuis quelques décennies, et qu’internet a extraordinairement accéléré ces dernières années nous promettait une prospérité inouïe ? Malheureusement il s’est mué en une avalanche d’informations dans laquelle nous étouffons et nous noyons au quotidien, traqués jusque dans nos toilettes par les algorithmes en quête de nos précieuses données personnelles qui sont le seul viatique qui nous reste. La Machine, à force d’apprendre, est déjà en train de nous voler l’intelligence pour la rendre, elle aussi, artificielle.

Les réseaux sociaux étaient le Graal annoncé d’une ouverture sociale et relationnelle incroyable, nous donnant la possibilité de rencontrer et de rester connecté avec nos âmes sœurs où qu’elles soient dans le monde ? Mais voilà qu’ils sont devenus le premier facteur de nos angoisses existentielles. Comment pourrions-nous échapper aux complexes en étant exposé en permanence aux sirènes d’Instagram qui font ressortir les moindres bourrelets de nos kilos en trop, au bling-bling étalé à la truelle plaquée or, à longueur de posts, par des gamins prépubères qui claquent en une après-midi de shopping la pile de fiches de paie de notre carrière entière ?
Mais cette fois-ci, les métavers, c’est sûr, archi-sûr, méta-sûr, ça va être différent ! Ce sera enfin le paradis qui nous permettra d’oublier nos misères sur Terre.
Ça vous laisse rêveur, META-rêveur ?
Pattes de mouche du Kfard :
[i] « Assassin’s Creed » est un jeu vidéo de l’éditeur Ubisoft, qui développe des univers de type métavers à diverses époques et endroits de la planète au fur et à mesure de ses nouveaux opus. « Greed » signifie « avidité » en anglais, et semble particulièrement adapté pour décrire l’univers du personnage de Trump.
[ii] inventé en 1655 par le mathématicien John Wallis
Bien avant la fin de ton évocation métaversienne, ô Grand Kafaramineusement idéaliste, je me suis surpris à m’interroger : comment verrais-je le « Deuxième Monde », l’Univers onirique où l’âme est chez elle ? Plus simplement « la réalité augmenté » ?… ( j’aime cette définition ) . J’ai joué à ce rêve dans mes adolescentes années de Philo Positiviste, où l’Homme, de plus en plus sociable (grâce aux échanges et aux rencontres de plus en plus faciles ) deviendrait sous mes yeux naturellement fraternel…
J’arrête de taper sur mon clavier, je ferme les yeux, je reviens dans l’Utopie pour quelque moment… J’oublie « la garde-robe vide, le réchauffement climatique, l’infrastructure des transports… !
6Krmagnole te reMERCIe, Grand Kfard, pour ton aide à son envol
A nous Kfards une fois de plus tu as offert
Un florilège de lyrisme qui t’auréole
Des lauriers de méta-poète, 6Krmagnole
Inspiré par tout, y compris les métavers !
Aussi,
Merci
Comme mes pauvres rimes, je t’embrasse