Il y avait un os dans Theranos

L' »autre » avait transformé l’eau en vin il y a 2000 ans. « Has been » a décrété cette prophète 2.0, cette alchimiste digitale qui se targuait de transformer une goutte de sang en montagnes d’or.

Si nous profitions de votre forme olympique au retour de vacances ressourçantes pour sortir des sentiers battus, et vous proposer une randonnée dans des contrées sauvages et méconnues ? 

Vous pensez aux sommets tibétains de la panthère des neiges de Sylvain Tesson ? Bien trop froid, vous vous égarez. Essayez encore !

Les quartiers Nord de Marseille ? Vous tiédissez, mais à peine. La densité de population y a tellement explosé récemment, avec les cars de CRS, les paquebots de journalistes et les cortèges de ministres qui y déboulent en foule compacte depuis plusieurs jours maintenant, que le safari annoncé ressemblerait à une banale sortie au parc animalier familial.

La jungle de Wall Street, avec ses meutes de loups dopés à la coke et à l’odeur du sans : sans scrupules, sans limites et sanguinaires ? Vous brûlez. Ce bûcher des vanités nous aura en effet livré des méchants et des salauds caricaturaux de série B par tombereaux entiers, qu’on adore tous haïr en public (et que l’on hait devoir admettre adorer en secret). Si le personnage de l’« odieux JR » a inauguré le genre dans la série télé Dallas au début des années 80 (boomers welcome), il a vite été surpassé dans la vraie vie , du « loup de Wall Street » Jordan Belfort[i] dans les années ’90 à Bernard Madoff[ii] et sa pyramide de Ponzi qui a évaporé 65 milliards de dollars au début des années 2000.

Mais si vous poussiez un peu plus à l’Ouest, vous constateriez que ces petits caïds d’opérette font bien pâle visage à côté de cette authentique Calamity Jane du véritable Far West, cette Impératrice de l’Imposture dont je vais vous conter l’histoire.

Avez-vous déjà entendu le nom d’Elizabeth Holmes ?

Tout le monde aurait donné le Bon Dieu sans confession à cette gamine bien née, bien élevée, qui devint à moins de 30 ans la « self-made woman » la plus célèbre, et la première milliardaire de l’histoire de la Silicon Valley.

Elizabeth Holmes fait une entrée fracassante dans le classement Forbes 400 en 2014

Elizabeth commença par avoir la bonne idée de bien naître. Les racines de son arbre généalogique de bête de concours sentent le chêne ciré des vénérables institutions WASP[iii], dont il coche toutes les cases : son père avait fait carrière à l’Agence des Etats-Unis pour le développement international, un de ses ascendants avait été directeur de l’université de Cincinatti, un autre avait créé une marque emblématique aux Etats-Unis, Fleishmann’s Yeast (aussi mythique là-bas que la Tomato Ketchup Heinz, sa seule limite étant de ne pas avoir réussi à traverser l’Atlantique, elle)…

La jeune pousse précoce émergea de la forêt dès 19 ans, en interrompant ses prestigieuses études à Stanford – où elle était forcément major de sa promotion – pour créer sa société, Theranos, avec l’ambition de révolutionner le diagnostic médical –  en réalisant des dizaines de diagnostics médicaux à partir d’une seule goutte de sang – comme un certain Steve Jobs avait, quelques années plus tôt, révolutionné l’informatique… vous sentez l’encens de la légende qui commence à auréoler la Reine Elizabeth, qui marche déjà dans les pas du Dieu de sa religion monothésauriste ?

La blonde gironde savait capter la lumière des projecteurs et l’attention des foules, promenant sur les plateaux et les estrades son uniforme-soutane de moine-soldat médiatique high-tech : un pull à col roulé moulant (comme Steve Jobs vous dis-je !), servant d’écrin à son sourire de madone, sa crinière étincelante et sa dentition parfaite qui rayait le parquet (…et là, on commence même à se dire que la petite pourrait dépasser le maître).

Cette fine mouche sut dénicher les truffes les plus respectables du Bottin Mondain pour s’en entourer et bénéficier de leur aura. Vous me soupçonnez d’emphase ? Jugez plutôt son tableau de chasse : Bill Clinton, Rupert Murdoch… vous doutez encore ? Et Larry Ellison, patron et co-fondateur d’Oracle ? Et James Mattis, alors général 4 étoiles et devenu depuis secrétaire à la Défense de Trump ? Et Henry Kissinger, ancien Secrétaire d’Etat ?

L’ancien Président des Etats-Unis Bill Clinton (L) parle avec Jack Ma (R), Président d’Alibaba Group, et Elizabeth Holmes, PDG de Theranos, pendant la réunion annuelle de la Clinton Global Initiative à New York, le 29 septembre 2015. REUTERS/Brendan McDermid

Ça ne vous suffit toujours pas ? Qu’est-ce qu’il vous faut ?

Encore un noir ?  Encore un Beur ? Encore une larme de bonheur ?

Telle Céline Dion, elle imposa sa voix sur la scène internationale, et monta – sur les tapis rouges, le tapis vert et sur les affiches – plus haut que n’importe qui, pour devenir la plus jeune milliardaire du monde en 2013 (non héritière en plus, un coup à froisser – encore un peu plus – notre Liliane Bettencourt nationale).

Vous attendiez de cette poupée Barbie une comptine sentimentale sirupeuse, ou un murmure de jazz langoureux ? Vous risquez d’être surpris. Mais laissons-lui plutôt la parole.

Ladies & gentlemen, big up for Eliiiiiiiiiiiiiizabeth Hooooooooolmes !

Alors ouais, j'me la raconte  [iv]
Ouais ouais, je détonne
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
J’aime pas me faire piquer, alors je joue à la roulette
Sortez les biftons, y’a trop d’seringues dans vos labos,
Alors ouais, j'me la raconte
Ouais ouais, je détonne

Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
T’aime pas te faire piquer (toi non plus), alors mise sur ma roulette
Sortez les biftons, sortez les chéquiers, virez les seringues
Y a comme un goût de sang quand je marche dans ma Valley
Y a comme un goût de gène avec mes foireux diagnostics
Y a comme un goût d'aigreur chez les traders d’la City
Y a comme un goût d'erreur quand on réalise qu’la boîte est vide
Me demande pas ce qui m’ pousse à dépasser les limites
J'suis pas la Vierge Marie, j'suis qu'une Steve Jobs en dev'nir
Moi je joue qu’à la roulette

Me demande pas si j'ai mon MBA [v], j'ai que le NDA [vi] 
Et je t'embarque, je t'embrase
Je te mate car je t'embarrasse
Y a comme un goût de Smirnoff
Comme un goût d’Bernard Madoff
Comme un goût de Theranos, eh ouais tu l’as dans l’os
Y a comme un goût de moula moula dans la Silicon’
Comme un goût de roulette roulette sur les ondes
Alors ouais, je détonne
Ouais ouais, j’t’impressionne
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
Sans sang, génération 100 %
Alors ouais, je t’étonne
Ouais ouais, j’t’impressionne
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
Sans sang, génération 100 %

Y a comme un goût de vitriol quand je marche dans ma Valley
Y a comme une goutte de sang qui s’efface pas au lavage
Y a comme un goût de peur chez les tontons complaisants
Y a comme une gueule de bois qui crispe les visages
Me demande pas ce qui les pousse à me casser les couilles
J'suis pas les SECours [vii], j'suis qu'une petite qui se débrouille
Moi je joue qu’à la roulette

Me demande pas si j'aime la vie
Moi j'aime la frime
Et j'emmerde la FDA [viii] juste parce que ça m’fait MDR
Y a comme un goût de Bad Blood
Dans les rayons de Walgreens
Comme un goût de hardcore (hardcore) dans les labos
Y a comme un goût de moula moula dans la Silicon’
Comme un goût de roulette roulette sur les ondes

Alors ouais, je détonne
Ouais ouais, j’t’impressionne
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
Sans sang, génération 100 %
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
Sans sang, génération 100 %
Elizabeth Holmes devant la « boîte noire » miraculeuse de Theranos, baptisée Edison, censée réaliser des dizaines de diagnostics médicaux à partir d’une seule goutte de sang du patient. Elle parvint à déployer cet équipement dans la plus grande chaîne de pharmacies des Etats-Unis, Walgreens, alors qu’il n’avait jamais fonctionné !


Pendant 12 ans Elizabeth Holmes aura réussi à faire croire au monde entier – et à elle la première – qu’elle était capable de changer une goutte de sang en montagne d’or grâce à sa « boîte noire » Edison et qu’elle pouvait faire grimper son haricot magique Theranos jusqu’au ciel. Dans son aveuglement, elle parvint à écarter systématiquement tous ceux qui se dressaient sur son chemin, ou se contentaient de ne pas se laisser hypnotiser ou intimider. Il faudra le talent et la ténacité d’un journaliste d’investigation d’exception, John Carreyrou, pour dévoiler le pot aux roses et finir par faire vaciller son château de cartes.

Chapeau bas les artistes (la prestidigitatrice et celui qui sut la démasquer) !

Et si l’icône valait… que dalle, finalement ?

Cependant, le Kfard Dchaîné ne peut décemment pas laisser le dernier mot à un escroc de haut vol, aussi charmeur et charmant fût-elle.

Je vous propose donc d’attendre impatiemment avec moi le verdict du jury lors de son procès qui devrait débuter dans les prochains jours, et où elle risque jusqu’à 20 ans de prison.

« Fais-le, ou ne le fais pas… mais ne te contente pas d’essayer » – quand on tire son inspiration de Maître Yoda, on peut profiter de la semaine des 4 Jedis

P.S. : Si ce résumé vous a donné envie d’en savoir plus, je vous invite à lire l’excellent livre enquête de John Carreyrou, intitulé « Bad Blood », ou à attendre le film qui en sera inspiré, avec Jennifer Lawrence dans le rôle d’Elizabeth Holmes, qui devrait sortir en 2022.

Et pour les Kfards pressés, l’excellent documentaire « The inventor : out for blood in Silicon Valley » de HBO, dont le trailer est proposé sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=wtDaP18OGfw


Pattes de mouche du Kfard :

[i] Jordan Belfort est le « vrai » trader qui a inspiré le film « Le Loup de Wall Street », dans lequel son rôle est interprété par Leonardo di Caprio, tout humblement

[ii] Bernard Madoff est un entrepreneur autodidacte qui devint le patron d’une des plus grosses sociétés d’investissement de Wall Street, après avoir participé à la création et au développement du Nasdaq, le marché des valeurs technologiques, et en avoir été le président pendant 3 ans. L’escroquerie de son principal fonds spéculatif, qu’il réservait à moins de 25 de ses meilleurs clients « triés sur le volet », et qui consistait en une « pyramide de Ponzi » ou « cavalerie » (le rendement élevé annoncé à ses premiers investisseurs est en réalité financé par les versements des investisseurs les plus récents), est découverte en décembre 2008, du fait de retraits de 7 milliards de dollars suite à la chute des marchés financiers.

[iii] WASP – acronyme pour « White Anglo-Saxon Protestant », il désigne l’archétype de l’Anglo-Saxon, descendant des immigrants protestants d’Europe du Nord et de l’Ouest, dont la pensée et le mode de vie ont structuré une partie de la nation américaine depuis les premières colonies anglaises du XVIIe siècle.

[iv] Libre adaptation d’après « la Boulette » de Diam’s

[v] MBA = acronyme pour « Master of Business Administration », diplôme certifiant des études supérieures de gestion d’entreprise

[vi] NDA = acronyme pour « Non Disclosure Agreement », un engagement formel de confidentialité souvent exigé des employés ou partenaires commerciaux dans le monde des affaires. Des sociétés et start-ups comme Theranos ont abusé de ce type d’engagements pour cacher des pratiques frauduleuses ou masquer des progrès insuffisants aux investisseurs.

[vii] SEC = U.S. Securities and Exchange Commission, l’autorité de régulation des marchés financiers des Etats-Unis

[vii] FDA = Food and Drug Administration, l’autorité fédérale de régulation de la Santé et de l’Alimentation des Etats-Unis

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