Le Cowboy Fringant s’en est allé vers d’autres Reeves

Ostie de câlisse de Tabarnak ! Mais Dieu du Ciel et de la Belle Province, t’as-tu les mains pleines de pouces, les deux ailes t’ont-elles tombé à terre, ou t’as-tu callé l’orignal, pour avoir rappelé au plus sacrant auprès de toi deux gars pleins d’esprit qui se dressent très vite sur leurs patins, deux barbes hirsutes qui soulignent un sourire à se réconcilier avec l’Humanité tout entière ?

Ostie de câlisse de Tabarnak[i] !

Mais Dieu du Ciel et de la Belle Province[ii],

t’as-tu les mains pleines de pouces[iii], les deux ailes t’ont-elles tombé à terre[iv], ou t’as-tu callé l’orignal[v],

pour avoir rappelé au plus sacrant[vi] auprès de toi, coup sur coup,

deux gars pleins d’esprit qui se dressent très vite sur leurs patins[vii],

deux barbes hirsutes qui soulignent un même sourire,

un sourire à se réconcilier avec l’Humanité tout entière :

Hubert Reeves, le 13 octobre,

Cet astrophysicien qui a su faire découvrir l’univers à des générations de gamins émerveillés,

et Karl Tremblay, le 15 novembre,

co-fondateur et héraut des Cowboys Fringants, qui ont su mettre des étoiles dans le cœur et les yeux des mêmes générations de gamins désenchantés

Deux diamants d’âmes dont je ne sais s’ils ont eu l’occasion de se croiser et d’échanger.

Mais qu’à cela ne tienne, Etienne,

on la tient bien aujourd’hui, cette chance de les écouter dialoguer depuis leur Paradis,

qu’on imagine blanc,

blanc comme neige,

comme nuage,

comme la page qu’ils viennent de tourner en « crissant leur camp »[viii]

Dressez donc l’oreille, vous qui avez osé résister à l’attraction inexorable du Black Friday, véritable trou noir (il porte si bien son nom !) du mercantilisme mondialisé, qui déploie ses tentacules pour aspirer votre temps, votre argent… et jusqu’à vos rêves.

Chut ! Ecoutons-les :

Karl (s’amusant à gratter sa guitare) :

I’m a poor lonesome Cowboy, and a long long way from home[ix]

Hubert :

« Patience, patience,

Patience dans l’azur!

Chaque atome de silence

Est la chance d’un fruit mûr ! »

Karl :

C’est tiguidou[x] ! C’est toi qui l’a composé ?

Hubert :

Non, ce sont les vers de l’immense Paul Valéry.

Mais ils m’ont inspiré le titre de mon premier livre de vulgarisation de l’astronomie, « Patience dans l’Azur ». Je l’ai publié en 1981, pour partager ma passion d’astrophysicien. Et sur les 50 dernières années, il a trouvé plus d’un million d’amateurs ! J’aime à penser que, comme le système solaire et quelques autres parmi des millions et milliards d’étoiles ont permis l’émergence de planètes pouvant accueillir la vie, il aura permis chez quelques lecteurs de faire émerger l’envie de mieux connaître leur univers, et de contribuer à en préserver son trésor : la vie !

Karl :

D’la patience, t’as b’en raison Hubert, il en faut son compte !

« Prépare toi petit garçon

Elle s’ra longue l’expédition

Et même si on n’en revient jamais vivant

Il faut marcher droit devant

[…]

D’abord il faut franchir ce fleuve qui est l’enfance de toutes les épreuves

Là où même sa propre famille risque de le couler par la torpille

Déjà on saura si sa coque et son bateau traverseront les époques

Ou bien s’il ramera à la dure dans une chaloupe remplie de fissures »[xi]

Hubert :

Oh, ce n’est pas forcément une attitude que j’ai facilement mise en application, la patience, malgré ma posture de vieux sage ! J’ai plus qu’à mon tour eu de la broue dans le toupet[xii], sans pour autant me la péter, ça a quand même fini par me coûter mon premier mariage !

Et les lubies anglophobes des Universitaires Québécois de la « Révolution tranquille (sic) » m’ont mis en beau fusil[xiii] ! J’ai sacré mon camp vite fait, et j’suis parti en voir, du pays : la Belgique, la Russie, la France, les Etats-Unis.

Karl :

T’a pas besoin d’excuses ! J’ai moi-même pris ma part au « bûcher des vanités »

« Il n’y a point de repos pour l’éternel insatisfait

Ceux qui en veulent toujours trop, récoltent souvent que des regrets

Y a des jours où j’me dis que je marche à côté d’la vie

Je la salue de loin sans jamais croiser son chemin

Et octobre vient de passer en coup d’vent

Une autre année où je n’ai pas pris le temps

De voir l’automne s’effeuiller tranquillement

Toujours plus vite, être à la course

Exister sur le pouce

Pogné dans l’tourbillon

Je pédale après quoi au fond? »[xiv]

Et j’vais te dire, Hubert, t’as bien fait ! La vie est trop garce pour qu’on perde son temps à se sécher les dents[xv] ou à niaiser avec la puck[xvi] !

« Parce que pour vivre sa passion

Et pas regretter plus tard

Y faut ben comme de raison

Que tu commences en quecqu’part

C’est pour ça que demain y va tout abandonner

Et au diable les crétins qui veulent pas l’encourager

Parce qu’y sait qu’le vrai plaisir au fond c’est de pas savoir

Comment qu’a va finir

Sa p’tite histoire

[…]

Garder son esprit libre, trouver un peu d’équilibre

Pour le reste y s’en fout ben, Ti-Cul a hâte à demain »[xvii]

Hubert (riant malicieusement) :

Eh ben au moins, nous deux, on le sait maintenant, comment qu’elle va finir not’ p’tite histoire !

Comme me l’a écrit une lectrice, qui m’a inspiré le titre de mon 2e bouquin, « On m’a dit : tu n’es que cendres et poussières. On a oublié de me dire qu’il s’agissait de poussières d’étoiles. »

Nous y voilà ! Fini les papillons dans l’estomac[xviii], c’est nos molécules et particules élémentaires que nous allons rendre pour ensemencer l’univers !

Karl :

Des poussières d’étoiles, peut-être, mais des poussières scintillantes d’étoiles filantes !

«Travailler, faire d’son mieux

N’arracher, s’en sortir

Et espérer être heureux

Un peu avant de mourir

Mais au bout du ch’min, dis-moi c’qui va rester

De notre p’tit passage dans ce monde effréné

Après avoir existé pour gagner du temps

On s’dira que l’on était finalement

Que des étoiles filantes »[xix]

Sans beurrer épais[xx], toi et moi, on aura quand même pas lâché la patate[xxi] :

« Si je suis au bout d’la route

De ma vie beaucoup trop courte

J’partirai quand même en paix

Sans éprouver de regrets

Car même si j’ai encore la flamme

J’ai en moi cette vieille âme

De ceux pour qui la sagesse

A remplacé la jeunesse

Et qui m’a fait garder espoir

Dans les moments les plus noirs»[xxii]

Hubert :

Nous voilà devenus bien graves ! C’est peut-être pas surprenant vu qu’on vient d’avoir notre grand voyage ! Est-ce que ce ne serait pas « l’heure de s’enivrer »[xxiii] ?

Karl (enthousiaste) :

En voilà une bonne idée ! Tires-toi donc une bûche, Hubert, je t’invite pour une belle rincée dans l’shack à Hector[xxiv] !

On va se paqueter la fraise[xxv], et on invitera la Reine d’la Rue Ste Cath’rine et d’la Maine[xxvi], et Loulou Lapière[xxvii], et mon cheum Rémi[xxviii]

Hubert (après une courte – ou une longue – nuit, selon le côté d’où on le prend) :

Ouh là là ! Ça fait un moment que je ne me suis pas pris une telle brosse ! Quelle gueule de bois ! Ça ne te file pas le blues à toi, Karl, de passer la nuit comme ça sur la corde à linge[xxix] ?

Karl :

« Comme une étoile poquée dans la nuit

Je m’accroche à mon ciel et je survis

Moi qui aurais tant besoin d’une amie

Dans l’immensité de mon ennui

Comme tout l’monde, je cherche la même chose

Un peu d’amour sur mes ecchymoses

En attendant, j’tourne en rond dans la nuit

Aux alentours du Pizza Galaxie»[xxx]

Hubert :

Quel bel oxymore, Karl !

Galaxie,

c’est l’infini du temps et de l’espace qui déroule sa spirale perpétuelle,

et Pizza,

quel symbole plus caricatural de notre société de sur-consommation, de sur-exploitation en sur-régime des ressources que l’univers tout entier a mis des milliards d’années à créer !

Les atomes qui constituent les briques élémentaires de la vie sur Terre ont été forgés dans des étoiles de galaxies disparues depuis des milliards d’années. Les ressources dites fossiles ont mis des centaines de millions d’années à se former à partir des restes d’organismes vivants. Et nous sommes en bonne voie de les épuiser frénétiquement en quelques générations seulement ?

Ce n’est pas mon mal de tête qui m’est le plus douloureux, c’est mon Mal de Terre[xxxi] !

Karl :

Tu touches une corde qui m’est sensible !

« La question qu’j’me pose tout l’temps:

Mais que feront nos enfants

Quand il ne restera rien

Que des ruines et la faim?

C’est si triste que des fois quand je rentre à la maison

Pis que j’parke mon vieux camion

J’vois toute l’Amérique qui pleure

Dans mon rétroviseur… »[xxxii]

Avec une COP28 qui se prépare à Dubaï, présidée par le PDG d’une société pétrolière d’Etat, faut pas nous prendre pour des valises[xxxiii], on est vraiment en train de pelleter par en avant[xxxiv] !

« Les gens ont dû se battre contre les pandémies

Décimés par millions par d’atroces maladies

Puis les autres sont morts par la soif ou la faim

Comme tombent les mouches, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien

Plus rien

Plus rien

Mon frère est mort hier au milieu du désert

Je suis maintenant le dernier humain de la terre

Au fond l’intelligence qu’on nous avait donnée

N’aura été qu’un beau cadeau empoisonné

Car il ne reste que quelques minutes à la vie

Tout au plus quelques heures, je sens que je faiblis

Je ne peux plus marcher, j’ai peine à respirer

Adieu l’humanité, adieu l’humanité »[xxxv]

« Quand il ne restera que 8 secondes

Avant la fin de ce monde

On r’pensera au genre humain

Qui à cause de l’appât du gain

Aura amené la planète au bord du ravin

Quand il ne restera que 8 secondes

Hey! »[xxxvi]

Bad COP … souvenez-vous de l’article du Kfard de janvier dernier : « Vendredi 13, super ou ordinaire ? »

Hubert :

En 8 secondes, Karl, « Je n’aurai pas le temps »[xxxvii] d’essayer de leur faire comprendre qu’on va droit dans le mur ! Ça prend quand même pas la tête à Papineau[xxxviii] ! Mais tu vois, même de l’autre côté du miroir maintenant, j’arrive pas à me résigner à la fatalité ! Le destin de l’Humanité ne peut pas être arrangé avec le gars des vues[xxxix] ! « Là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve ! »[xl] Je continue, et je continuerai à nourrir « la fureur de vivre »[xli].

Karl :

« Tant qu’on aura de l’amour

De l’eau fraîche et de l’air pur

Un toit et puis quatre murs

Ce sera la joie dans not’ cour

On apprécie les p’tites choses »[xlii]

« On vieillit, les années passent

Et chacun de nous fait comme il peut

On court on tombe, pis on s’ramasse

On essaie d’être heureux

Toute une vie à patcher les trous

Du temps qui s’enfuit de nos poches

Dans un monde qui partout

Tient avec d’la broche

Mets ta tête sur mon épaule

Pour que mon amour te frôle»[xliii]

Hubert :

Merci Karl, tu me regonfles le moral ! Et plus encore !

Tu m’inspires une belle perspective pour ma « Pyramide de la complexité »[xliv]. L’entropie qui se répand dans l’immensité de l’univers en expansion a agi comme un alambic pour concentrer progressivement sa quintessence dans des trésors de plus en plus complexes : des quarks aux protons/neutrons/électrons, puis aux atomes, aux molécules, aux cellules et aux organismes vivants…

Mais au-delà des organismes vivants, quel peut être le sommet de cette Pyramide de complexité d’où l’univers nous contemple depuis plus de 40 millions de siècles (n’en déplaise au petit Caporal, petit joueur et maudit Français au passage[xlv]) ?

Tu viens de me le souffler, comme une évidence : ce sont les écosystèmes, communautés tricotées serrées [xlvi] d’organismes et… d’amour, ces Pachamamas qui nous prennent dans leurs bras protecteurs, et nous chuchotent, à travers le tintamarre et la cacophonie ambiants…

« Patience, patience dans l’Azur ! »

De magnifiques images d’étoiles et de poussières d’étoiles révélées par le nouveau télescope spatial James Webb